Je vous écris depuis le train vers le Nord où je vais animer une nouvelle retraite de yoga à partir de demain.
J’ai eu envie pour cette fois d’oser vous partager quelques fragments de mon journal de bord. À propos de refuge dans la nourriture, d’étau, d’émotions mangées et d’inspiration livresque. Que je vous envoie donc exceptionnellement ce mercredi soir au lieu de jeudi soir.
En vrac, des réflexions sans réponses.
un jour
je ne sais pas où me mettre alors je mange
je suis perdue aujourd’hui
perdue entre les obligations que je m’impose
perdue car je sens que je veux écrire
mais que je devrais peut-être faire autre chose
je me sens pressée par le temps
simplement car j’ai une échéance en fin de journée
je me sens prise en étau
compactée d’être engagée
alors je mange
du salé, du sucré, des légumes même
même si je n’en ai pas vraiment envie
je commence à me connaître
alors je m’observe
manger mes émotions
ce matin j’ai dansé après avoir mangé
et c’était savoureux
sentir mon corps se mouvoir
c’est aussi bon que ces bonbons
la culpabilité en moins
maintenant j’écris et je sens que ça lâche
en moi, ça se réconcilie
j’aimerais lire mais c’est vertigineux
trop de récits qui m’attendent
juste là, à côté de moi
le lendemain
je reprends ici
je viens d’ouvrir mon dernier livre
Mangeuses de Lauren Malka
je commence à le dévorer
je l’ai connu grâce à Elsa Wolinski
dans le cadre d’une lettre qu’elle a écrite
Lettre au gras
émouvante
il raconte « l’histoire de celles qui dévorent, savourent ou se privent à l’excès »
le dixième de ma table de chevet
je suis certainement boulimique de livres
mais mieux vaut ça que de pizzas ?
c’est mon autodéfense !
j’ai remangé une dizaine de bonbons aujourd’hui
la faute à nos discussions avec lui
ça ne tournait pas très rond
alors j’ai mangé mes émotions
Mangeuses
« Une culture fixée sur la minceur féminine n'est pas une obsession de la beauté féminine, mais une obsession de l'obéissance féminine. Le régime est l'un des plus puissants sédatifs politiques de l'histoire des femmes; une population qui est en colère silencieusement est une population docile. »
Naomi Wolf dans The Beauty Myth', reprise en ouverture de Mangeuses
ça touche à ce qui me touche
lorsque je me préoccupe de ma silhouette
que je me soucie de ce que j’ai mangé
à chaque fois que je la veux plus fine
que je m’en prends à elle
je ne m’occupe pas de ce qui importe
je ne m’occupe pas d’œuvrer
d’être une bonne mère
d’être une bonne femme
d’être une bonne citoyenne
d’être une bonne humaine
je cherche juste à être bonne
pour moi un peu
pour les autres beaucoup
je fuis mes livres
quand je ressasse ce que j’ai avalé
je fuis ma peur de m’engager
quand j’ai peur de ne pas atteindre l’allure souhaitée
je fuis le dialogue
quand je me veux plus fine
je fuis la peur de ne pas réussir à avancer
quand je voudrais mon ventre absorbé
j’écris pour guérir
et ça me met en colère car je n’y arrive pas
enfin si quand même j’y arrive un peu
ça va mieux
ne plus m’en prendre à ma silhouette
lui laisser la vie tranquille
me concentrer sur ma force
et mon engagement
je ne veux pas mourir en m’ayant voulue plus fine
comme ma maman
décédée de ne plus réussir à s’alimenter
à cinquante-six ans
grignotée par son cancer
« et dire que j’ai voulu maigrir toute ma vie »
Guérir
« Si l'alimentation se révèle une zone d'entraînement à la virilité pour les hommes, elle s'impose, pour de nombreuses femmes, comme un lieu d'enfermement, de culpabilité, de honte, d'asservissement, voire de maladie grave. »
Lauren Malka dans Mangeuses
guérir c’est possible
mais un pas à la fois
et jamais complètement
toujours ça revient
lentement c’est latent
je me veux puissante
je me veux forte
je me veux aimante
je ne veux plus me chercher fine
je me veux dynamique, dansante, à l’aise, expressive, douce, présente
un pas à la fois
un peu d’audace à la fois
je suis là
ré-association
« Je suis une meuf. Comment veux-tu que je sois autre chose que dissociée ? Depuis que je suis enfant, on me répète que mon corps appartient aux regards des autres, qu'il appartient à ma beauté, à ma séduction. La séduction, ça te dissocie. Comment veux-tu faire autrement ? Je ne connais aucune fille qui mange sans se demander si ça la fera grossir. Comment veux-tu te dissocier de ton appétit et ne pas te dissocier de tout ce que tu es ? »
Virginie Despentes dans Cher connard, reprise par Lauren Malka dans Mangeuses
j’ai besoin de me nourrir pour créer
j’ai besoin de me nourrir avec confiance
j’ai besoin de me nourrir sans restriction
j’ai besoin de me ré-unir
de savourer, de lécher, de dévorer, de goûter, de palper, de m’y plonger
et de m’arrêter quand bon me semble
j’ai besoin de m’écouter
j’ai besoin d’oser
j’ai besoin d’embrasser
je lis pour me sentir entourée
j’écris pour réfléchir
j’écris pour témoigner
je partage pour me sentir entourée
Merci d’être là !
Elise
Retrouvez mes activités yoga (cours en ligne et retraites) par ici :
www.elisegaveauyoga.com
Merci pour ta lettre Elise. Elle m’est familière et je me retrouve quelques années auparavant … je prends conscience que j’avance! Merci! Je retiens les mots de ta Maman pour les moments plus sensibles. Hâte de te lire.
Merci Chloé pour ton partage ✨