Longtemps, j’ai eu du mal à choisir. J’étais celle qui changeait de plat au restaurant une fois la commande passée, ou qui arrivait systématiquement en retard à cause du temps dédié à ne pas trancher sur la bonne tenue à porter. Au delà de ces modalités pratiques, j’ai toujours eu du mal à choisir les expériences ou relations que je souhaitais investir. Et, lorsque choix je prenais, culpabilité s’en suivait : n’aurais-je pas mieux réussi ou profité si je n’avais pas délaissé l’autre option ?
Au quotidien, craindre de décider, vouloir tout.
Ça et ça, au « cas où ».
Accumuler pour être.
Ne pas renoncer, pour ne pas disparaître.1
Aujourd’hui, ma capacité à décider est encore mise à l’épreuve mais, oh joie !, sur des sujets qui ont de moins en moins trait à la représentation, et peut-être de plus en plus, à l’essentiel.
Mon cheminement vers plus de connaissance de moi-même, ainsi que mon nouveau contexte de vie, m’ont permis de me délester progressivement du poids de nombreuses hésitations quotidiennes. Il s’agit maintenant pour moi de choisir comment créer ma vie, chaque jour. Choisir où mettre mon attention.
Décider du temps dont je dispose.
Ne pas me laisser happer par les distractions.
Choisir la vraie présence avec mes enfants.
Décider des sujets de création à investir.
Et oser amorcer des renouvellements, chaque jour.
Me poser de plus en plus souvent ces questions me donne la sensation d’être actrice, auteure, voire poète, de ma vie ! Par conséquent, de moins en moins, je me surprends à la subir.
Écouter mes désirs
Longtemps, en matière de prise de décision, j’ai été animée par la raison. La capacité de réflexion mentale étant nettement valorisée là où j’ai grandi, je la cultivais en priorité, sans savoir que d’autres options pouvaient préexister.
Choisir un plat, une tenue ou une expérience plutôt qu’une autre déclenchait en moi un ensemble de calculs et de projections. Rentrait en compte de façon significative l’impact probable de mon choix sur ma réputation physique et intellectuelle. J’évaluais si la teneur du plat serait susceptible de me faire grossir, si la tenue serait capable de me mettre en valeur ou si l’expérience choisie allait me permettre d’être mieux reconnue.
Voilà ce qui, en fait, occupait beaucoup ma vie. Rétrospectivement, je prends la mesure de ce temps passé à élaborer des stratégies mentales pour mieux prendre ma place.
Si prendre sa place socialement est nécessaire, je pense aujourd’hui qu’il est possible de le faire, aussi, en composant à partir de nos désirs.
De la raison naît sans doute la prudence.
Mais peut-être seul des désirs peuvent naître une grande Joie.
Alors comment re-connaitre mes désirs ?
Si je sais qu’ils sont inévitablement le reflet des désirs des personnes avec qui j’ai grandi, de celles qui m’ont inspirée et de la société, par imitation ou par opposition, je cherche aujourd’hui à distinguer ceux dans lesquels ma respiration est ample et ma joie grande, de ceux qui me coupent de mon énergie et font vaciller mon souffle.
Mes faux désirs pourraient être ceux que je crois miens alors qu’en y réfléchissant bien, ils correspondent à une attente de représentation morale convenable. Là où mes vrais désirs seraient ceux qui font vibrer mon corps et dans lesquels j’aurais envie de me déployer.
Selon moi, le succès du yoga et des pratiques corporelles douces n’est pas sans lien avec cette quête de reconnaissance de nos désirs.
Doucement mais sûrement, grâce à elles, j’apprends à écouter mon corps. J’en fais un nouvel allié et, une marche à la fois, j’apprends à l’écouter. Mon corps me semble porter toute la sagesse et la folie de mes désirs.
Une doula2 qui accompagnait ma deuxième grossesse nous a un jour fait faire une méditation en couple pour écouter le signal du oui ou du non de notre corps. Il serait capable de nous dire si oui ou non nous voulons manger telle chose, aller à tel endroit, ou même accoucher de telle façon. Ça me semblait encore bien saugrenu.
Aujourd’hui, j’entends et je comprends ce qu’elle voulait nous dire.
Mon corps, très souvent, sait. Il est le fruit de mes expériences et de mes connaissances accumulées depuis mes tous premiers instants.
« Pour Henri Bergson, « il n'y a pas de perception qui ne soit imprégnée de souvenirs ». Vivre, écrit encore en substance Bergson, C'est cela : aller de l'avant avec tout son passé. »
Charles Pépin dans Philosophie Magazine « Penser, c’est dire non ? »
Une méditation du choix
Ainsi aujourd’hui je tente de répéter, inlassablement, l’exercice de me laisser guider par mon corps lorsqu’une question de choix survient. Je veux faire confiance au fait qu’il opère au mieux depuis mes savoirs disponibles et intégrés à ce jour.
L’hiver dernier, lorsque j’ai démarré l’écriture d’un guide pratique sur le yoga pendant la grossesse3, ma première tentation, influencée par la peur de mal faire, fut de rouvrir les manuels d’experts sur le sujet pour tenter une réponse synthétique et raisonnable. Mais très vite, mon engouement se ternissant par cette méthodologie de la raison, j’ai laissé une alternative s’inviter… : et si j’osais pleinement la confiance ?
On m’a proposé d’écrire ce livre car je suis formée au yoga prénatal, que j’ai déjà donné de nombreux cours, et que l’éditrice a aimé lire mon site internet : alors qu’ai-je à prouver de plus par la raison ? Ainsi, j’ai recommencé le projet en choisissant d’écrire avec mon coeur. D’abord car les vérités rationnelles et scientifiques n’existent que peu, et ensuite car, en écrivant depuis mon corps, je laisse une chance à la Joie de se manifester dans ma vie et, je l’espère, entre mes lignes partagées.
Ainsi, dans l’idéal, de plus en plus, lorsqu’une question de choix survient, je tente de prendre un temps de “méditation”.
Je me dépose. Une fois, ou plusieurs fois, selon l’ampleur de la décision à prendre.
J’écoute. Et je vois ce qui advient.
Alors, étonnement, le choix se révèle de lui même.
Assumer pour créer
Ce qui m’aide aussi sur mon chemin, c’est de considérer que la “bonne” décision n’existe pas a priori, mais qu’elle se révèle a postériori. Mon choix serait le bon à partir du moment où j’en assumerais les conséquences.
Ainsi, du choix le plus inopportun, maladroit ou déraisonnable, s’il est sorti de mon corps et de mon coeur, alors je veux tenter de composer avec. Je peux user de l’humour, je peux toujours rebondir, et surtout je peux choisir de faire preuve de créativité pour lui donner un sens.
« Le seul choix que l'on peut faire en connaissance de cause, la seule chose dont on soit responsable en situation d'ignorance de l'avenir, c'est de se livrer - ou non - à cette transformation et de se laisser pleinement transformer par le choix qu'on a fait, une fois qu'on l'a fait. C'est douloureux, stressant, risqué, mais cela recèle aussi une certaine beauté, liée au fait d'embrasser la vie. »
L. A. Paul philosophe américaine et auteure de Ces expériences qui nous transforment, interviewée dans le dernier Philosophie Magazine
Je suis aujourd’hui le fruit d’un enchainement de choix, pour certains satisfaisants et glorieux, et pour d’autres, aussi nombreux, peu louables ! Mais, je suis toute joie de savoir que c’est à partir de cette boue fertile qui est mienne, que ma créativité peut prendre racine.
« Si le conformisme rendait heureux, cela se saurait. Ne voit-on pas bien des gens dépérir dans des vies qui, sur le papier, semblent parfaites ? »
Alexandre Lacroix dans Le choix de la joie, un article de Philosophie Magazine4
Le choix fou de l’amour
Au plus je travaille à la connaissance de moi, au plus j’ai confiance en moi dans ma singularité, et au mieux je fais des choix. Car j’aime et j’assume qu’ils soient miens.
Hier, j’ai eu envie de jouer pleinement le jeu pour la Saint-Valentin. Néanmoins, j’ai questionné mes amies d’enfance sur la pertinence de mon désir. Elles m’ont alors répondu, presque en cœur, que c’était sûrement une mauvaise idée : mieux valait organiser quelque chose la veille ou le lendemain, la réussite s’invitant difficilement dans une soirée le jour J, par définition ringarde, débordante de fleurs, de couples et d’additions onéreuses.
Alors je me suis arrêtée un instant.
J’ai senti mon corps vibrant et souriant.
J’ai compris que j’en avais envie malgré leurs avis.
J’ai compris leur raisonnement, et j’ai senti pleinement mon désir.
Hier, nous avons passé la plus gourmande et mielleuse des soirées de l’année !
En espérant que vous avez, de près ou de loin, passé aussi une belle fête de l’amour.
Affectueusement,
Elise
Référence à ma dernière lettre “Une vie heureuse” sur la mort et la capacité de renoncement pour vivre mieux.
Référence à Alexia Grauwin, magnifique doula et professeure de yoga au féminin dans la région lilloise.
Je pratique le yoga pendant ma grossesse - pour les Nuls publié en mai 2023
Philosophie magazine de février 2024 autour de la thématique de « Comment prendre la bonne décision ? »
Merci Élise, j ai adoré lire cette lettre et merci pour cette invitation-rappel de se poser pour écouter