J’étais en quatrième lorsqu’a débarqué dans mon collège un nouveau garçon qui m’a attirée au premier regard. Ses tâches de rousseur, sa grande taille, ses joues bombées, son air charmeur, son petit bégaiement, sa prestance pleine d’humour. On est très vite devenus très amis. Et puis un jour, ça m’a paru évident : j’étais amoureuse de lui.
En plus d’être mon confident, je voulais l’aimer pour la vie ! Et qu’on s’embrasse peut-être bientôt.
Ouf, il a accepté.
Pendant cette année dont je ne retiens presque que l’idylle, je m’empressais chaque soir après l’école de relire ses poèmes d’amour, retrouver msn et rêvasser devant la télé ou dans ma chambre.
Puis, au moment de passer au lycée, il a été invité à changer d’établissement ; trop turbulent le bad boy avec ses copains.
Ce fut l’été de notre rupture unilatéralement décidée par lui. Mon cœur s’est brisé, mes rêves envolés, mes larmes déversées.
J’étais « tombée » littéralement amoureuse.
Je n’avais pas de filet. Pour moi la douleur était telle qu’à partir de ce moment j’ai décidé d’avoir le dessus sur mes futures relations amoureuses.
Je les ai alors cumulées sans trouver réellement chaussure à mon pied. Je repense aux mots de Romain Gary dans La promesse de l’aube que l’on pourrait transposer à la première relation amoureuse1:
« Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d’amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n’y a plus de puits, il n’y a que des mirages. »
Mais la grande différence entre l’amour maternel et l’amour amoureux, c’est la possibilité de revivre l’histoire. Alors qu’on ne redeviendra jamais cet enfant confondu avec l’amour de sa maman, on peut continuer à espérer re-construire avec l’amoureux, tant que la vie est là.
Les retrouvailles
Dix ans après cet été de rupture adolescente, on a diagnostiqué le cancer de ma maman et l’urgence de vivre pleinement est née en moi.
Hasard de la vie - ou pas, un an plus tard, dans mon open space parisien entre deux feuilles Excel, j’ai reçu un appel :
— Oui bonjour, vous avez un problème de chaudière ? Je suis le dépanneur, j’arrive chez vous !
J’ai mis quelques secondes à reconnaître son humour. Il rentrait habiter en France après plusieurs années à l’étranger.
On a alors recommencé à se voir. Et si les petites flammes au fond de nos ventres se remettaient à danser, j’ai aussi senti que le feu de la passion avait déjà été consumé.
— J’ai peur que ce soit du réchauffé…, me confiait-il.
Que reste-t-il après la passion des commencements ?
Rien ne pouvait nous assurer à ce moment là qu’on était encore “faits” l’un pour l’autre, et qu’on allait être assez créatifs pour resouffler sur les braises de notre couple.
Mais libérés des fracas de la passion, il nous restait la délicieuse saveur de la construction. On allait bientôt décider de renoncer aux plaisirs fulgurants des commencements, pour oser l’engagement.
« La vraie aventure de vie, le défi clair et haut n’est pas de fuir l’engagement mais de l’oser.
Libre n’est pas celui qui refuse de s’engager.
Libre est sans doute celui qui ayant regardé en face la nature de l’amour - ses abîmes, ses passages à vide et ses jubilations - sans illusions, se met en marche, décidé à en vivre coûte que coûte l’odyssée, à n’en refuser ni les naufrages ni le sacre, prêt à perdre plus qu’il ne croyait posséder et prêt à gagner pour finir ce qui n’est coté à aucune bourse : la promesse tenue (...). »Cet extrait de l’Éloge du mariage, de l’engagement et autres folies de Christiane Singer me touche au coeur.
Oser collectivement de nouveaux engagements
Il me semble que, majoritairement, nous sommes traumatisés du trop plein d’engagements pris par les générations précédentes au nom de la religion, de la sécurité financière, de la soif de pouvoir des hommes, de la volonté des parents ou d’un besoin de natalité. Trop de couples se sont formés, pieds et poings liés, subissant souvent les affres de la domination ou de l’infidélité.
Aujourd’hui, grâce notamment aux voies féministes qui se sont fait entendre, il me semble qu’il est de plus en plus possible de s’engager dans une harmonie constructive du couple. Pour cela, j’aime habiter notre époque !
Bien sûr, le patriarcat2 a la peau dure et nous ne serons jamais trop de voix, féminines et masculines, pour contribuer à redonner à chacun et chacune une juste place, particulièrement au sein du foyer hétérosexuel.3
En invitant les hommes à s’ouvrir à leur douceur
J’entends encore ma mère me murmurer durant mon adolescence :
— Je te conseille de trouver un homme dont la qualité première sera la gentillesse.
Elle fait partie de ces femmes qui ont cherché à s’émanciper, mais tout en restant adhérente d’un modèle bourgeois bien normé4. Je me souviens que son conseil me paraissait étrange, à contre sens de ce que je pensais devoir chercher, et de ce que je croyais qu’elle voulait aussi. Elle m’avait l’air de plus aimer mon père pour sa force, son autorité, son ingéniosité et son humour, que pour sa gentillesse.
À mon amoureux, je sais aujourd’hui qu’on lui a toujours conseillé de faire attention à ne pas être trop gentil avec les filles. De se laisser désirer avec une certaine distance. Sûrement une des raisons qui lui a valu l’étiquette de bad boy au collège.
« Apprendre à porter un masque est la première leçon de masculinité patriarcale qu’un garçon apprenne. »
Les mots de Bell Books que Mai Hua et Jerry Hyde reprennent dans leur très touchant documentaire Make me a man5 résonnent.
Mais bien-sûr, comme un grand nombre de femmes, je percevais déjà au collège la douceur de mon amoureux derrière son masque. Ses poèmes le trahissaient !
Quand je l’ai retrouvé plus tard, il ne pouvait plus vraiment se le cacher. Il avait ce petit truc de différent, un plus à mon sens, que j’allais aussi apprendre à aimer : sa vulnérabilité. La vie n’avait pas manqué de lui faire rencontrer sa finitude.
“Ce n'est pas même la réussite qui importe. C'est la tentative.”
D’aventures en aventures, on a décidé de se marier. Puis d’avoir un enfant. Puis un deuxième. Aujourd’hui je rejoins pleinement ma maman : je l’aime d’amour dans sa gentillesse.
On s’est confiés récemment sur ce que l’on souhaitait voir grandir chez l’autre :
Il m’a demandé de lui accorder plus de confiance dans son rôle de père.
Je lui ai dit que c’était important pour moi qu’il cultive sa douceur.
Je sais, on sait, que constamment on a besoin de travailler, aussi bien chacun de notre côté qu’ensemble, pour faire perdurer nos Élans et qu’ils continuent à s’élever mutuellement !
« Ce qui importe c’est de poursuivre la route. Et de ne pas être saisi d’effroi quand la nature du réel se révèle (…).
Seul existe, seul perdure l’Élan.
L’Élan qui nous a fait surgir et nous entraine.
C’est en laissant le chemin de Vie passer à travers nous que nous aurons rempli notre contrat. »
Christiane Singer6
Parfois j’ai peur de ne pas y arriver. Parfois il a peur de ne pas y arriver.
Mais de cette peur on tente de puiser notre force de continuer, jour après jour, à s’aimer.
« Ce n'est pas même la réussite qui importe.
C'est la tentative.
(…)
Que le mépris qui pèse aujourd'hui sur les choses les plus sacrées ne nous décourage pas.
Aussi longtemps qu'elles continuent à nous être sacrées, elles survivent. »
Merci de m’avoir lue.
Bien affectueusement,
Elise

Voir ma précédente lettre autour de La promesse de l’aube de Romain Gary
Définition du patriarcat : « organisation sociale dans laquelle l'homme détient le rôle dominant au sein de la famille, par rapport à la femme » Source le Larousse
Le livre de Mona Chollet Réinventer l’amour - Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles est un essai dont la première moitié m’a séduite. Si j’ai arrêté là le livre à ce jour (très universitaire), il me semble donner des informations et des clés fondamentales pour oser repenser nos modes de fonctionnements en couple.
Peut-être la source d’un conflit interne en elle ? C’est une piste qui m’interpelle.
Make me a man capte avec intensité et poésie la parole vulnérable, et donc rare, d’hommes qui participent à des “cercles de parole”. Après Les Rivières qui m’avait ému aux larmes, Mai Hua, merveilleuse réalisatrice, nous dit prendre conscience par ce documentaire qu’hommes et femmes ont le même coeur.
Les deux derniers extraits sont issus de l’Éloge du mariage, de l’engagement et autres folies de Christiane Singer.
Merci pour tes mots !
Je me souviens quand j’étais jeune je n’aimais pas les garçons gentils. Je préférais les « bad boys ». Heureusement j’ai épousé un homme gentil et je pense que c’est une des qualités que je préfère chez lui…
C’est beau votre histoire, avoir retrouvé son 1er amour et faire sa vie avec lui… ça fait rêver :-)
❤️