“La douceur des bras de ma maman.
Ses mains, sa peau.
La sensation d’être enveloppée, protégée, aimée pleinement.
La douceur du lien charnel avec un être que j’aime.
La douceur du soleil qui m’enveloppe.
La douceur de la sororité, de femmes réunies qui se glissent des mots doux, qui chuchotent leurs désirs et leurs peines, qui se sentent plus fortes ensemble.
La douceur des chansons douces et de mon corps librement en mouvement dessus.”
Voici ma réponse à “qu’est-ce qui vous vient lorsque vous pensez à la douceur ?” posée par Marie Robert @philosophyissexy, lors d’un atelier d’écriture en début d’année1.
Niaise douceur ?
La douceur, je l’ai longtemps réservée à une sphère privée. Elle y porte ses merveilleux fruits : la tendresse, la sécurité, l’apaisement, la sensation d’être aimée et de pouvoir aimer en retour.
Alors lorsque Marie nous a proposé cet atelier autour du thème “Comment mettre de la douceur dans son année ?”, j’ai tout de suite été séduite par l’idée d’élargir les bienfaits de la douceur à toutes mes activités.
J’ai longtemps cru la douceur niaise, voir hors-sujet en dehors de ma vie intime. Lorsque j’ai commencé à grandir, arrivée au primaire, ma maman m’a inscrite au karaté. De mes 7 à 17 ans, je me suis rendue aux entrainements deux à trois fois par semaine. « Ma petite blonde doit apprendre à se défendre », répétait-elle.
Il me semble avoir appris que la douceur ne me serait d’aucune aide dans l’ambition que je me devais d’avoir pour réussir ma vie.
« La douceur est inquiétante. Nous la désirons, mais elle est irrecevable. Quand ils ne sont pas méprisés, les doux sont persécutés ou sanctifiés. Nous les abandonnons parce que la douceur comme puissance nous oppose en réalité à notre propre faiblesse. »
Anne Dufourmantelle dans Puissance de la douceur2
Si la société est en partie hostile, particulièrement pour les jeunes femmes, et que je comprends le désir de ma mère de me protéger, je me surprends aussi à rêver à d’autres possibilités.
À une douceur enfantine qui ne serait pas reniée en grandissant.
Protégée par les adultes, elle serait même cultivée.
S’émancipant de la naïveté, au fil des connaissances et des histoires partagées, la douceur pourrait garder une place privilégiée dans la vie de l’adulte en devenir.
De quoi avons-nous peur ?
La douceur ne s’anticipe pas, ne se prévoit pas. Elle s’invite, elle surprend, elle se glisse. Un sourire. Une accolade. Un mot doux. Un regard tendre. Elle est là. Et toute la beauté du monde s’éveille en elle.
Alors au nom de quoi ne pouvons-nous pas plus l’honorer ? Il me semble que la douceur, en ayant le pouvoir de nous dévoiler un peu plus, nous effraie souvent. Combien de fois m’est-il arrivé de répondre sur la défensive au risque d’être révélée dans mes manquements ?
Vulnérable douceur
Début de semaine j’ai été invitée à remonter une journée sur des skis mais malheureusement, en haut des pistes, un intense mal de montagne m’a prise. J’étais saturée de blanc et de vent, de descentes et de remontées, de skieurs et de pisteurs. Entre vigilance et ravissement, mon coeur s’est mis à balancer. Prise de nausée et de migraine, j’ai terminée allongée dans la neige pour laisser une chance à mon corps de récupérer.
Quelques personnes se sont interrogées sur ma forme, mon amie les a rassurées, puis une sorte de petit ange de douceur a débarqué. Elle a insisté : « es-tu sûre, vraiment sûre, que ça va ? ». J’ai relevé la tête et je lui ai dit que « oui ! mais non… ». Elle a instantanément déchaussé ses skis et s’est agenouillée à mes côtés. Elle m’a offert un large sourire et m’a confié souffrir régulièrement de maux de crâne. Elle a sorti de son sac ce qu’il me fallait. Je me suis observée lâcher les armes et lui succomber.
Il y a peu, je l’aurais cordialement remerciée. Mais, de plus en plus, je fais l’effort d’embrasser la douceur qui s’offre à moi. D’ouvrir mon coeur, de laisser la douceur me toucher par l’interface de ma vulnérabilité.
Ainsi, je me rétablis.
Si mes blessures sont toujours là,
la douceur y est entrée.
Et le renouveau peut opérer.
Le jour d’après, nous avons décidé d’aller marcher en dehors des pistes damées. Un pas à la fois, j’ai entendu les oiseaux chanter et savouré le paysage qui se découvrait.
Accompagnée par la lenteur, je reçois mieux la douceur.
Elle s’est aussi invitée dans le jeu de mes enfants à la recherche de cailloux porteurs des pouvoirs de la “pierre philosophale”.
« Si l’amour et la joie ont des affinités essentielles avec la douceur, est-ce parce que l’enfance en détient l’énigme ? Car la douceur a, avec l’enfance, une communauté de nature mais aussi de puissance. Elle en est la doublure secrète, là où l’imaginaire rejoint le réel dans un espace qui inclut son propre secret, nous faisant éprouver une stupeur dont on ne revient jamais entièrement. »
Anne Dufourmantelle dans Puissance de la douceur
La douceur comme puissance
Alors à la question principale de Marie, “Comment mettre de la douceur dans son année ?”, voici ce que j’ai eu envie de répondre :
“Amener de la conscience sur chaque temps que la vie m’offre, chaque temps de mouvement, d’action, de repas ou de repos. Continuer de mettre du plaisir dans ce qui me nourrit au sens propre comme figuré. De plus en plus loin donc des restrictions, des « il faut, il aurait fallu ». Simplement être là et jouir du fait d’être pleinement en Vie.”
De plus en plus, à partir de la douceur, je me sens plus puissante pour créer. Je ressens aussi qu’elle ne nie pas l’engagement, l’action et la mobilisation, mais se mêle à eux. Elle leur apporte une sorte de grâce. La douceur engage la confiance.
« Moralement, la douceur est une invitation à devenir meilleur. Elle invite à l’écoute, à la compassion et au pardon. Sa puissance ne vient pas de ce qu’elle déploie tout un ensemble de solutions mais de ce qu’elle augmente la qualité de présence aux autres et à soi-même. Jusqu’à nous permettre de ressentir, malgré les difficultés, toute la douceur qu’il y a à vivre. »
Marie Robert, en conclusion de son atelier3
De la nécessaire réciprocité
Il me tient à coeur de finir en partageant ici ma crainte que la douceur puisse cacher, dans certains cas, un danger. La douceur, lorsqu’elle agit entre deux personnes, touche à la vulnérabilité de celle qui la donne et de celle qui la reçoit. Alors un pré-requis devrait être une réelle réciprocité, de celle qui nécessite un respect pour l’intégrité de l’enfant, et un consentement pour l’adulte.
Autrement, elle n’est que mielleuse emprise.
« La douceur ne saurait prévaloir contre la justice et la réciprocité qu’elle exige »
Platon dans l’Apologie de Socrate
Affectueusement,
Elise
Voici le lien du replay de l’atelier : https://www.philosophyissexy.fr/boutique-hTgcJ/p/https/wwwphilosophyissexyfr/atelier-decriture-philosophique14-mettre-de-la-douceur-dans-son-annee
Voir note 1
Et comme souvent avec la douceur, c'est un double don qui apparaît : celui qui l'offre et celui le reçoit sont tous deux rassemblés...
Anne Dufourmantelle
Bisous 😘